A la Maison de l’espoir, ONG qui soutient les femmes et les enfants, Sud-Kivu, RDC, 2025.
En République démocratique du Congo, un gynocide[1] se perpétue dans un silence assourdissant tandis que des milliers de personnes sont massacrées dans une guerre qui ne dit pas son nom, soutenue par le Rwanda.
La RDC, deuxième plus grand pays du continent africain par sa superficie et quatrième par sa population, est en proie, depuis 30 ans, à une guerre qui ne dit pas son nom. D’après ONU Femmes, elle aurait entraîné la mort de plus de deux millions de civils et plus d’un million de femmes auraient été violées. Au-delà de ces sombres statistiques, ce sont des vies humaines supprimées ou brisées, des communautés meurtries, des familles décomposées, des femmes rejetées qui, pour survivre n’ont plus que la prostitution, les enfants nés de ces viols également rejetés par la communauté et renvoyés à la rue….. C’est sans doute aujourd’hui le pays au monde où le viol est l’arme de guerre la plus utilisée et la plus banale. C’est aussi là que le docteur Mukwege, prix Nobel de la Paix en 2018, « répare », avec un courage et une détermination immenses, les femmes violées dans son hôpital de Panzi dans le Sud-Kivu.
Rappelons que depuis les années 1990, la région du Sud-Kivu, celle des Grands Lacs située à l’est du pays, est en effet attaquée par des groupes armés rivaux, qui cherchent à s’accaparer les nombreuses et précieuses ressources de son sous-sol riche en métaux rares (Cuivre, cobalt, nickel principalement) plongeant la population dans une horreur sans fin à laquelle elle a tenté d’échapper en rejoignant les immenses camps de déplacé·e·s installés autour de la ville de Goma dans le Nord-Kivu pour échapper aux massacres et aux viols de masse. Ces réfugié·e·s vivent dans une précarité et un dénuement extrêmes que des ONG tentaient de pallier tant bien que mal. 123 000 viols ont été commis en 2023 (dont 70% d’entre eux dans la région du Kivu), 130 000 en 2024, principalement des femmes et des fillettes – des chiffres en constante augmentation –, soit un viol toutes les 4 minutes.
Depuis le début de l’année, une aggravation sans précédent de la crise humanitaire et des crimes et violences sexuelles
Mais depuis l’offensive militaire de grande ampleur menée depuis le début de l’année, non seulement dans le Sud- mais également dans le Nord-Kivu avec la prise de Goma le 27 janvier par les milices du M23 (mouvement rebelle congolais dit du 23 mars à dominante tutsi) soutenues par le Rwanda voisin qui a envoyé sur le terrain des militaires de son armée régulière d’après des sources convergentes, un cran supplémentaire a été franchi. Les populations réfugiées dans les camps de Goma ont fui vers Bukavu mais cette ville a aussi été attaquée et conquise face à une armée congolaise régulière en déroute. Cette offensive a déclenché une catastrophe humanitaire sans précédent : au moins 7.000 morts en quelques semaines et près de 3 millions de civils déplacés fuyant la région. Les personnes demeurées en vie ont subi, en grand nombre, de multiples exactions parmi lesquelles les crimes et les violences sexuelles arrivent en tête : viols systématiques des femmes et des filles devant leur famille, actes de torture et de mutilations sexuelles, meurtres. Durant la première quinzaine de février, 900 viols ont été recensés dans cette région, soit une moyenne de 60 viols par jour selon le HCR (Agence des Nations-Unies pour les réfugiés). Et encore, ce recensement ne concerne que des survivantes ayant pu être prises en charge médicalement dans les 23 sites soutenus par l’UNFPA (agence des Nations Unies pour la santé sexuelle et reproductive) à Goma. La réalité est évidemment encore bien plus sombre. Les femmes et les filles sont « utilisées » pour détruire la communauté dans son ensemble. C’est un gynocide doublé d’une crise humanitaire sans précédent.
La population est complètement démunie d’autant plus depuis la suppression de l’aide américaine au développement décrétée dans le même temps par Donald Trump et qui était très importante pour la RDC : de l’ordre d’un milliard de dollars en 2024 dont 3 millions de personnes ont bénéficié et alors que la RDC aurait besoin en 2025 de 2,58 milliards de dollars pour répondre à sa crise humanitaire, soit plus du double. Selon le Forum des ONG Internationales en RDC (qui regroupe plus de 124 ONG), des programmes entiers sont à l’arrêt, programmes alimentaires contre la malnutrition, programmes sanitaires (pastilles pour purifier l’eau, campagnes de vaccination…), fermeture des unités de soins mobiles fournissant des contraceptifs, des médicaments, etc. Des milliers de femmes et de filles n’arrivent pas à accéder aux soins d’urgence dont elles ont pourtant un besoin crucial et l’accès à la contraception est de plus en plus difficile, les stocks n’étant plus renouvelés du fait du désengagement américain. Les États-Unis devaient en effet financer en 2025 à hauteur de 10 millions de dollars l’achat de contraceptifs dans un contexte où les besoins réels sont estimés à 70 millions par l’UNFPA pour fournir en contraceptifs près de trois millions de congolaises. Selon cette agence, le manque de contraceptifs va avoir pour conséquence la plus probable des grossesses non désirées de l’ordre de 1,2 million en 2025 et autant d’enfants abandonnés à la rue et à la merci des milices qui les recrutent pour en faire à leur tour des tueurs et des violeurs pour les garçons, des esclaves sexuelles pour les filles forcées à la prostitution pour survivre.
Le peu d’effets du renforcement des sanctions et le manque de volonté politique
La communauté internationale, à commencer par le Conseil de sécurité de l’ONU, a renforcé ses sanctions contre le M23, le Rwanda et plusieurs personnalités et entités associées par différents mécanismes selon les pays : gel des avoirs, restrictions sur les échanges bancaires et commerciaux, suspension des aides et de l’assistance au Rwanda, réévaluation des accords bilatéraux, interdiction de voyager pour certaines personnalités… mais cela n’a pas eu grand effet sur le terrain. Tatiana Mukanire Bandalire, coordinatrice nationale du Mouvement des survivant·e·s de violences sexuelles en RDC, de passage en France mi-avril 2025, affirme même que la situation ne fait que s’aggraver sur le terrain malgré une présence importance d’ONG et d’associations qui font tout ce qu’elles peuvent pour apporter une aide vitale à la population, singulièrement aux femmes et aux enfants.
Il faut aller beaucoup plus loin et appuyer toute initiative qui conduira à assigner les responsables de ces crimes de guerre, voire ces crimes contre l’humanité, devant la CPI (Cour pénale internationale). Les outils juridiques existent, la volonté politique manque encore… Et bien sûr, nous qui en avons les moyens, devons apporter toute l’aide humanitaire et psychologique possible.
Christine Villeneuve,
Vice-présidente Elles aussi/ Alliance des femmes pour la démocratie