Introduction par Christine Villeneuve
Chère Armelle Le Bras-Chopard,
Chère Marlène Coulomb-Gully,
Chères amies,
D’abord, un grand merci d’avoir accepté de participer à cette table-ronde dont le thème « La démocratie paritaire en questions, discours et réalités » est toujours d’une grande actualité après ce que l’on vient d’entendre.
La période électorale que nous venons de traverser a accouché d’un résultat contrasté : s’il y a plus de femmes candidates, elles sont moins nombreuses à avoir été élues députées – on sait qu’elles sont souvent investies par leur parti politique dans des circonscriptions plus difficilement gagnables – mais pour la première fois dans l’histoire de la République française, une femme est présidente de l’Assemblée nationale dont le bureau est composé – également pour la première fois – de plus de femmes (12) que d’hommes (10) avec 5 vice-présidentes sur les six (un seul homme) mais avec deux questeurs hommes sur les 3.
Signe également que la culture de la parité progresse dans notre pays, la nomination – ce qui n’est pas du même ordre mais qui participe à un meilleur partage du pouvoir politique –, une femme première ministre qui, après avoir été taxée de technocrate dénuée de tout sens politique lors de sa prise de fonction, ne s’est pas laissé impressionner et a su s’imposer avec un calme olympien. Les propos directement sexistes ou qui le sont indirectement (rabaissement, incapacité à assurer sa fonction comme on vient de le voir, etc.) n’ont pas pour autant disparu, loin s’en faut. Et l’on entend toujours, à plus ou moins bas bruit mais de manière récurrente, des discours visant à un rétropédalage des acquis paritaires depuis les réformes législatives intervenues à partir des années 2000 ; notamment la question du noncumul des mandats alors que l’on sait – l’expérience de ces 20 dernières années l’a montré amplement – que c’est l’un des leviers permettant le renouvellement des élu.e.s et l’ouverture du champ de la décision politique et citoyenne à de nouvelles personnalités, principalement des femmes mais aussi des plus jeunes ainsi que des personnalités issues de la diversité. Le mouvement paritaire – comme le mouvement des femmes en général – a toujours dynamisé le processus démocratique.
La grande question est de comprendre pourquoi les femmes n’ont toujours pas acquis en France, en 2022, dans notre démocratie, une légitimité politique suffisante alors qu’elles sont la moitié de l’humanité et du corps électoral. Armelle Le Bras-Chopard va nous donner, en premier lieu, quelques pistes d’analyse pour comprendre cette défiance misogyne très spécifique à la France et très enracinée malgré toutes les avancées que nous avons pu connaître depuis plus de 20 ans et singulièrement ces dernières années, grâce au mouvement des femmes. Et Marlène Coulomb-Gully abordera ensuite la question de la représentation des femmes politiques, et le rôle des médias dans la restitution de leur image.
Mais avant de vous donner la parole chacune à votre tour, je vais vous présenter rapidement, je m’en excuse.
Chère Armelle, Chère amie,
Tu es professeure émérite de science politique à l’université de Versailles-Saint-Quentin-enYvelines et politologue, première femme à avoir été agrégée de science politique. Tu as été appelée au Ministère de l’Éducation nationale en 1999 comme chargée de mission pour l’égalité des chances femmes/hommes dans l’enseignement supérieur, mission que tu as accomplie pendant 10 ans. Tu as été membre du jury de plusieurs concours dont celui de la magistrature. Tu es une femme de pensée mais aussi d’action : tu as en effet été conseillère municipale de la ville de Guyancourt de 2001 à 2014, adjointe à la culture de cette ville à partir de 2008 où tu as fait beaucoup – notamment un ensemble de manifestations chaque année pendant tout le mois de mars, intitulé « Le temps des femmes », impliquant tous les équipements culturels de la ville et qui perdure aujourd’hui –, et cette expérience nous intéresse aussi évidemment. Tes travaux de philosophie politique portent principalement sur la question de l’exclusion des femmes du pouvoir politique. Je ne peux citer ici tes nombreux ouvrages, je signale le plus récent dont tu es co-autrice avec Scarlett Beauvalet, Annie Duprat, Mariette Sineau, Françoise Thebaut, avec une préface de Michèle Perrot, Femmes et République (La Documentation française, 2021[1]).
(Autres livres : Les Femmes et la politique (dir. avec J. Mossuz-Lavau, L’Harmattan, 1997) ; Le Zoo des philosophes. De la bestialisation à l’exclusion (Plon, 2000, Prix Médicis Essai) ; Le Masculin, le sexuel et le politique (Plon, 2004) ; Les Putains du Diable. Le procès en sorcellerie des femmes (Plon, 2006)
Chère Marlène Coulomb-Gully,
Vous êtes professeure émérite en sciences de l’information et de la communication à l’université Toulouse Jean Jaurès, agrégée de lettres modernes, ancienne élève de l’École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses. Parmi les nombreuses fonctions que vous avez exercées, on peut citer la direction des Presses universitaires du Mirail au sein desquelles vous avez créé et dirigé la collection « Les Mots ». Vous avez été membre du HCE (20132019) et vous êtes, depuis 2020, membre de l’Observatoire de l’égalité du CSA. Vous êtes l’une de celles qui ont contribué au développement des travaux de recherche sur les représentations de genre dans les média, notamment dans leur rapport au politique, à travers plusieurs ouvrages personnels et collectifs (Présidente, le grand défi – Femmes, politique et médias-, Paris, Payot, 2012 ; Femmes en politique, en finir avec les seconds rôles, Paris, Belin, 2016), sans compter vos très nombreux articles. Vos travaux plus récents portent sur l’accès des femmes politiques à la parole politique et c’est cet axe de travail qui a suscité notre invitation à intervenir aujourd’hui (Sexisme sur la voix publique – Femmes, éloquence et politique -, aux Editions de l’Aube, 2021).
Et maintenant, Chère Armelle à toi
Je suis très contente d’être parmi vous et de fêter avec vous les 30 ans d’Elles aussi avec qui j’ai l’habitude de travailler. Je vais revenir aux racines du mal… et du mâle pour éclairer les difficultés à obtenir une vraie parité. Cette résistance, cette réticence se manifeste et subsiste dans des stéréotypes qui circulent à bas bruit ou à plus fort bruit, et dans des comportements masculins. Autrement dit : je vais revenir sur les discours qui semblent anciens, mais comme je viens de le dire qui circulent toujours, des discours qui accréditent l’idée que la femme n’est pas tout aussi humaine que l’homme, donc ne devrait pas avoir accès à ce qu’il y a de plus humain, le politique. L’homme est un animal politique a dit Aristote, l’homme. Platon s’était demandé s’il fallait ranger la femme parmi les animaux ou parmi les êtres humains ; il n’a pas trouvé la réponse.et Aristote reprend cette question, mais il est très embarrassé. Il voudrait bien, mettre les femmes du côté des animaux, mais il constate : « On n’a jamais vu un animal tenir une maison », et il ne répond pas non plus à la question. Je passe sur le discours chrétien que vous connaissez où c’est la pécheresse Ève responsable de tous nos malheurs.
C’est le discours médical, scientifique, qui entend apporter les éléments de preuves de la nature inférieure de la femme par rapport à la nature de l’homme. La nature de l’homme, c’est la nature humaine, vous l’avez compris. Après la classification des espèces faite par Linné, certains se sont demandés si les femmes n’étaient pas ce « maillon manquant » entre les singes supérieurs et les hommes ; l’anarchiste Proudhon à la fin du 19e siècle dira que la femme n’est pas la moitié de l’humanité mais « une sorte de moyen terme entre l’homme et le reste du règne animal ». Ce sont donc les thèses scientifiques qui vont faire le plus de tort aux femmes. Ça commence par le constat de la différence physique entre les deux sexes: d’abord son absence de membre viril et, à la place, quoi ? un utérus et cette condition physique réagit sur son mental.
Un médecin du 16e siècle explique que l’utérus qu’on appelle » vase » au Moyen Âge, le plus souvent est vide ; de cet utérus, proviennent des vapeurs malignes qui, par le biais de l’épine dorsale, montent à la tête; d’où l’instabilité des femmes, leur caractère versatile, leur propension à l’hystérie. Vous voyez bien qu’aujourd’hui, dès qu’une femme hausse le ton, surtout en politique, on l’accuse de perdre ses nerfs, d’être hystérique alors que l’homme en colère, lui, fait preuve de caractère et d’autorité. La relation entre le physique et le moral est le titre d’un livre d’un médecin du 19e siècle. À cet utérus qui est un réceptacle creux, répond la tête pareillement très creuse. Par ailleurs, le cerveau des femmes est plus petit et léger que celui des hommes. Problème quand le poids de celui d’Anatole France, pesé après sa mort, s’est révélé inférieur au poids moyen de celui d’une femme. Celle-ci est imbécile au sens éthymologique du terme. En latin, bequilus signifie bâton (qui a donné « béquille » en français), donc avec le préfixe privatif, elle est imbécile car dépourvue de bâton, autrement dit de sexe viril. À défaut d’être complètement idiote, on lui accorde une certaine intelligence, mais évidemment moindre que celle de l’homme. C’est une intelligence pratique, concrète qui porte sur le particulier, le détail. Kant nous explique que ce sont tout de même des qualités car les hommes ne pourraient pas s’occuper des petites choses. Donc, elle ne voit pas plus loin que le bout de son nez, est incapable d’accéder à la généralité, à l’universel : comment pourrait-elle participer à la conception des lois qui exige une certaine hauteur de vue ? Et quand elle essaie de faire comme les hommes, d’apprendre, d’étudier, eh bien c’est très mauvais pour sa santé ! C’est véritablement par charité et compassion que les hommes ne le lui conseillent pas du tout. En 1801, un révolutionnaire, Sylvain Maréchal, disciple de Babeuf, rédige un projet de loi portant « interdiction d’apprendre à lire aux filles », et il rapporte l’histoire dramatique d’une jeune fille qui a voulu apprendre les langues: elle en est morte. Plus proche de nous, en 1929, Célestin Bouglé[2] se montre hostile à la fusion des Ecoles normales de filles et de garçons et plaide pour le maintien des filles à Sèvres où elles reçoivent des enseignements appropriés, exigeant une moindre tension cérébrale que ceux délivrés aux garçons : par exemple pour les mathématiques, un peu de calcul, pas trop d’abstraction car elles n’y arriveront pas.
La femme, par nature, n’a pas la compétence pour siéger dans une assemblée politique. Mais enfin, la nature qui n’est pas complètement injuste envers les femmes, leur a donné en compensation la beauté, c’est encore Kant qui explique cela. Mais là, c’est un véritable danger pour les hommes : La femme use et abuse de cet atout, c’est une séductrice. Des femmes dans une assemblée vont tourner la tête des hommes qui ne pourront plus voter sereinement les lois. Elles vont semer la « zizanie », mot qui revient le plus souvent dans la bouche des sénateurs dans les années 1930 pour ne pas reconnaître le droit de vote aux femmes. Et ils se plaisent à revenir sur la comparaison entre la femme et l’animal. Je vous en donne deux exemples car les sénateurs ont beaucoup d’humour : « deux coqs vivaient en paix, une poule survient et voilà la guerre allumée », ou encore : « une femme au Sénat ferait sortir une poule de la basse-cour pour la mettre dans la Haute-cour ».
Le général de Gaulle qui a signé l’ordonnance de 1944 reconnaissant le droit de vote des femmes, (il ne l’a pas « octroyé » comme on le dit trop souvent), pense néanmoins que les femmes sont un élément perturbateur en politique et ne souhaite pas leur participation aux instances publiques. Les débuts de la Vème République sont catastrophiques pour les femmes qui désirent entrer en politique. Le nombre de femmes députées chute, il était déjà faible sous la IVe République (un peu plus de 6%); de Gaulle refuse les femmes comme conseillers politiques et 3 femmes seulement sont nommées au gouvernement entre 1958 et 1969. Les choses ont évolué ensuite, les mentalités aussi. Les femmes ont été introduites dans le sanctuaire politique, d’abord principalement par le biais de nominations avant que les lois dites « sur la parité » changent la donne en accroissant le nombre, encore insuffisant, de femmes élues.
Même s’il n’est pas politiquement correct de les exprimer trop grassement, les stéréotypes perdurent dans un discours masculin contradictoire: Tantôt la femme est perçue comme une mère, toute tendresse, attention aux autres, configurée pour les soins à autrui, le care.. Elle est, par définition, une femme d’intérieur (l’utérus est à l’intérieur du ventre, alors que les hommes exhibent fièrement leurs attributs sexuels comme des fleurs qui éclosent, dit-on au Moyen Âge). D’un autre côté, elle est aussi la séductrice, la femme fatale. Les deux images coexistent : la maman et la putain. Il faut alors déconstruire le discours masculin, pointer ses incohérences, pour faire bouger l’opinion publique qui à son tour agit avec les associations, et finalement sur les lois.
Mais changer les mentalités prend beaucoup de temps. Il faut alors accélérer le mouvement, prendre des mesures obligatoires, en particulier pour la participation des femmes au politique. Tel a été l’objet des lois dites « sur la parité », qu’il a fallu réaménager car leur application permettait encore de préserver l’avantage masculin. Ainsi aux premières élections municipales après les lois de 1999 et 2000, bien que la parité ait été respectée, les femmes se sont retrouvées en fin de liste, donc en position non éligible, d’où une nouvelle loi imposant des listes avec candidats et candidates en alternance. Quand il n’y a pas de loi, ça ne se fait pas tout seul, même chose pour la parité chez les adjoints, c’est-à-dire au niveau exécutif pour laquelle une loi a été également nécessaire et Elles aussi a particulièrement bien pointé le problème des intercommunalités. Et l’on connait toutes les astuces des partis politiques pour donner la priorité à des hommes dans les candidatures aux législatives.
Il y a encore du travail à faire. On compte sur Elles aussi tant pour faire évoluer les esprits et les comportements que pour influencer le vote de lois. Marlène va vous dire la suite.
Christine Villeneuve : on voit quand même que c’est une histoire d’utérus tout ça, l’exclusion des femmes de la philosophie et du politique, on pourra y revenir (en référence à Antoinette Fouque et son travail de pensée) Je passe la parole à Marlène.
Marlène Coulomb-Gully
Une histoire d’utérus, oui, et une histoire très ancienne, qui remonte à des millénaires, comme nous l’a très bien rappelé Armelle et qui de ce fait s’impose avec toutes les apparences de l’évidence, « naturellement » en quelque sorte : « nature-elle-ment » dénoncent avec humour les féministes. C’est ce mensonge de la naturalité auquel il faut tordre le cou pour faire prendre conscience de sa dimension construite et structurellement sexiste.
Ce travail de déconstruction, j’ai quant à moi, choisi de l’appliquer à la question des médias. Pourquoi travailler sur les médias quand on s’interroge sur l’absence d’égalité entre les femmes et les hommes ? Parce que, pour reprendre la formulation de Michel Foucault, les médias sont « des technologies de pouvoir ». Reprenant le propos de Michel Foucault, la philosophe féministe Teresa de Lauretis va plus loin et parle, quant à elle, de « technologies de genre ». Qu’est-ce que cela signifie, « technologie de pouvoir/technologie de genre » ? Cela signifie que les médias imposent des normes et des valeurs tout en prétendant n’en être que le reflet. C’est ce travail de construction de normes et de valeurs par les médias qu’il nous faut mettre au jour, en particulier en ce qui concerne les représentations des femmes (politiques) et du genre.
Prenons l’exemple des médias d’information : ils se présentent comme étant « le reflet de la réalité », comme étant « un miroir du monde ». Comme le dit le Chat de Geluck (une autre de mes grandes références philosophiques), « Quand les gens lisent le journal, ils croient apprendre ce qui se passe dans le monde ; en réalité, ils n’apprennent que ce qui se passe dans le journal », c’est-à-dire ce qui se passe dans la tête des journalistes, souvent tributaires des stéréotypes de genre dont la société dans sa globalité est porteuse, et qui sont véhiculés dans et par les salles de rédaction. Il faut donc déconstruire cet insu structurellement sexiste.
Les médias sont donc un dispositif intéressant à partir duquel interroger la question du sexisme dans la société, en analysant quelle image les médias donnent des femmes en général et des femmes politiques en particulier, celles-ci fonctionnant comme une espèce de « précipité », un concentré de la représentation globale des femmes dans les médias. Je m’appuierai ici sur une étude internationale, le Global Media Monitoring Project (GMMP), enquête mondiale diligentée tous les cinq ans et analysant le plus grand nombre possible de médias d’information dans le monde, y compris les médias numériques[3]. J’en ai coordonné l’édition de 2020 avec Cécile Méadel, professeure à Paris 2. Cette étude, très fouillée, et intégralement disponible sur le site whomakesthenews.org, a produit une grande quantité de chiffres relatifs à la représentation des femmes dans les médias. Je vous en livre trois, que nous avons produits pour la France (on se réfugie facilement derrière la neutralité des chiffres, mais ceux-ci sont toujours le résultat d’une « fabrication », d’où mon emploi obstiné du mot « produit »). 1. Premier chiffre : les femmes constituent 30% des sources et sujets des nouvelles… alors qu’elles sont supposées représenter 52% de la population. 2. Quand on zoome sur l’information politique, elles ne sont plus que 24% : vous avez dit « parité » ? 3. La parole d’expertise est, quant à elle, portée par 24% de femmes ; or l’expertise c’est le savoir, l’expertise c’est le pouvoir. On voit donc bien les défis qui s’imposent à vous, femmes politiques, pour être présentes dans les médias à la hauteur de votre présence dans les instances politiques, et pour pouvoir incarner une parole d’autorité (on a évoqué tout à l’heure le fait que la compétence était une qualité souvent refusée aux femmes).
Inversons les chiffres : les hommes représentent 70% des sujets d’information, 76% des politiques sont des hommes et 76% des experts sont des hommes. Le monde des médias est donc un monde fondamentalement androcenté, qui ne laisse aux femmes qu’une place réduite, en tout cas sans commune mesure avec leur poids réel dans les instances politiques .
Si on va un peu plus loin et que l’on quitte les données strictement quantitatives pour prendre en compte une dimension plus qualitative, on observe que les médias ne parlent pas des femmes politiques comme ils parlent des hommes politiques, que les mots pour les dire ne sont pas les mêmes, que les questions qu’on leur pose ne sont pas les mêmes. A titre anecdotique, je suppose que vous avez pu toutes et tous consulter cette vidéo hilarante du collectif SISTA qui consiste à interroger des entrepreneurs et hommes d’affaires de la même façon qu’on interviewe des femmes cheffes d’entreprise, notamment sur leur « morning routine » ! Cette dissymétrie est au cœur des représentations différenciées des hommes et des femmes dans les médias.
Les femmes sont très souvent assignées à paraître et abordées par le biais de leur physique, de leurs vêtements, de leur coiffure, etc. Lors de la dernière élection présidentielle, Valérie Pécresse a été décriée parce que supposément botoxée ; mais si elle n’avait pas été botoxée, on aurait sans doute critiqué ses rides, un visage marqué, vieilli, etc. Ce sont là des injonctions contradictoires auxquelles sont trop souvent confrontées les femmes. Toujours lors de la dernière présidentielle, on a longuement parlé du régime entrepris par Marine Le Pen qui aurait perdu 12 kg pour satisfaire à des normes de représentation féminines ; et si elle ne les avait pas perdus, on aurait probablement critiqué une silhouette « lourde », « massive » et bien peu « féminine ». S’expriment ainsi les injonctions contradictoires qui sont au cœur de la représentation des femmes.
Autre dissymétrie entre hommes et femmes : la famille. Dans les médias, les femmes sont, bien plus que les hommes, assignées aux relations familiales. Or s’il est fait référence pour un homme à ses qualités de père de famille, par exemple, cela semble ajouter à son humanité. Rien de tel pour une femme : quand on l’interroge sur ses enfants, sa famille, c’est souvent avec l’idée de la compatibilité problématique des responsabilités familiales et professionnelles, sur son éventuelle absence de disponibilité. Peut-on être bonne mère (voire bonne épouse !) en s’engageant dans une « carrière » politique ?
Dans l’étude du GMMP que j’évoquais précédemment, la référence à la famille est prégnante pour les femmes, qui sont avant tout des « femmes de », « filles de » ou « mères de » et plus rarement évoquées comme sujets autonomes. Elles sont, bien plus que les hommes, condamnées à une forme d’hétéronomie, évoquées dans un rapport à « l’autre », alors que les médias parlent des hommes sans qu’il soit nécessairement fait mention de leurs relations familiales : ils sont autonomes. Ces stéréotypes de représentation rendent difficile l’inscription des femmes politiques comme sujets autonomes.
Autre différence entre hommes et femmes dans les médias : l’usage du prénom. C’est particulièrement flagrant pour les femmes politiques racisées (« Najat », pour Najat VallaudBelkacem ou « Rachida » pour Rachida Dati), mais cela vaut globalement pour l’ensemble des femmes politiques. Quand, en 2007, les médias évoquaient les deux principaux protagonistes avec la formule « Ségo-Sarko », le combat paraissait mal engagé. Lors de la dernière présidentielle, il a été question de « Valérie » et de « Marine », cette dernière ayant d’ailleurs instrumentalisé à son compte cette propension à appeler les femmes par leur prénom, pour se démarquer de son père. Pourquoi cette pratique est-elle problématique ? Parce qu’elle assigne les femmes à un univers domestique et privé, qui est le cadre dans lequel on s’interpelle par son prénom. Cela joue d’une certaine façon contre une forme de légitimité publique, la femme politique apparaissant en quelque sorte comme « la bonne copine », « the girl next door ». En revanche le nom est en usage dans le cadre des relations publiques et professionnelles. C’est en tout cas la règle dans nos sociétés qui sont des sociétés formelles, contrairement aux pays d’Amérique latine, par exemple, où l’on parle de « Lula » sans que ça porte atteinte à sa légitimité.
Les femmes sont aussi beaucoup plus que les hommes désignées par des surnoms. Ainsi de
Christiane Taubira, « la passionaria », « l’égérie du mariage pour tous » ; de Marine Le Pen, « la Walkyrie » ; d’Arlette Laguiller, « la Vierge rouge » ; de Ségolène Royal, « la Madone », etc. Lors de la dernière campagne présidentielle, Sandrine Rousseau a été traitée de « Greta Thunberg ménopausée ». On observe d’ailleurs que la question de la sexualisation et de la sexualité est souvent au cœur des surnoms donnés aux femmes (vierge, madone, etc.) Ce n’est pas le cas des surnoms, plus rarement donnés aux hommes : « le capitaine de pédalo » ou « culbuto » pour François Hollande, ou « Napoléon » pour Nicolas Sarkozy). On retrouve dans cet usage des surnoms, la propension à sexualiser les femmes.
Enfin, le vocabulaire utilisé pour parler des hommes et des femmes politiques est différent. Un homme a « de l’autorité » mais une femme est « autoritaire » voire « cassante » (voir la façon dont les médias représentent Élisabeth Borne) ; quand il a « du caractère », elle a « mauvais caractère » (voir la représentation d’Élisabeth Borne, encore) ; il a le sens de l’initiative quand elle est imprévisible ou incontrôlable ; il a de l’ambition quand elle est ambitieuse ; quand il reconnaît ne pas savoir, il est honnête, alors que quand elle reconnaît ne pas savoir, elle est incompétente, etc. On voit encore une fois combien le rapport au savoir et à la compétence est central dans ces représentations. Élisabeth Borne a coché beaucoup de cases de ces stéréotypes de genre véhiculés par les médias, s’agissant en particulier des femmes politiques.
Nicole Loraux, helléniste éminente, écrivait que dans le Panthéon grec, il y a des déesses, bien sûr, mais que le divin quant à lui continuait de s’énoncer au masculin. Très souvent, je me pose la même question pour le domaine politique : il y a certes des femmes politiques mais le politique ne continue-t-il pas de s’énoncer au masculin ? Votre défi, notre défi collectif est de surmonter cette contradiction et faire en sorte que le politique, enfin, s’énonce au féminin.
J’avais prévu, dans la dernière partie de mon intervention, de vous parler de l’accès des femmes à la parole publique : c’est l’objet de mon dernier livre, Sexisme sur la voix publique.
Femmes, éloquence et politique, que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire, et pour lequel j’ai beaucoup aimé mener l’enquête. Je n’en aurai pas le temps, mais juste un mot : j’essaie de montrer ce qui se joue au niveau de la parole publique (manterrupting, mansplaining, etc.), y compris au niveau de la matérialité vocale où la voix des femmes est toujours critiquée et ne convient jamais : elle est toujours « trop » ou « trop peu » sans doute parce que les femmes sont encore toujours perçues comme « de trop » dans cet univers
Questions
I- Je viens des Hauts-de-France, , je suis du secteur de Valenciennes, j’étais tête de liste en 2014, j’ai été élue, j’ai siégé au conseil municipal dans l’opposition, j’ai connu Elles aussi à ce moment-là, on envoie mais on n’accompagne pas après pour permettre de continuer, moi, j’ai su rebondir, je suis présidente d’association mais ce n’est pas le cas de tout le monde, et il y en a beaucoup qui sont en dépression.
Christine Villeneuve : à Elles Aussi, il y a des groupes de parole par région, d’échange d’expériences et d’entraide entre élues-non élues ou anciennes élues. On pourrait réfléchir à mieux les structurer par secteur par exemple. C’est une réflexion qu’on doit avoir
Gisèle Bourcart : à Femmes d’Alsace, nous avons créé un groupe de femmes élues, ;elles se retrouvent de manière informelle pour parler de tous leurs problèmes, pour se soutenir et partager leurs expériences ; nous avons édité une charte pour la confidentialité de leurs propos.
II-Anne Giorczyck- militante à FR, maire, 2ème VP à l’interco et VP du conseil départemental. Je suis entrée en politique par le militantisme associatif j’ai traversé une campagne municipale extrêmement violente. Face au sexisme qui revient régulièrement , j’hésite parfois entre l’humour, la colère, l’appel à témoin, tout cela, ce sont des moyens pour ne pas m’énerver .auriez -vous quelques pistes à nous faire partager lorsque nous sommes interpellées en réunion publique ou lors d’un conseil municipal, il faut qu’il y ait du public sinon ça n’a aucune résonnance, ce n’est pas intéressant !.
Marlène Coulonb-Gully: les conseils de vos collègues sont sans doute bien mieux venus que ceux que je pourrais vous donner, sinon lire mon livre qui regorge d’exemples. Ce qu’on observe c’est que ce sexisme est fondamentalement inscrit dans les esprits et renvoyer les hommes (car ce sont souvent les hommes qui font des remarques mais pas que) à ce sexisme systémique peut être parfois contre- productif et l’humour quand on en a la capacité sur le moment est souvent un bon moyen de désamorcer, mais il n’y a pas que le monde politique qui soit très sexiste, je viens de l’université…
III- Janine Mossuz -Lavau : je travaille sur le genre depuis longtemps et la meilleure réponse dans ce genre de situation est l’humour (rappel de l’épisode entre De Rosier et Denise Cacheux :dans les années70 Dès qu’une femme haussait le ton ou se mettait à protester parce qu’elle avait été maltraitée, on la traitait de « mal baisée », un jour, en réunion au PS Denise Cacheux est ainsi traitée, elle répond avec sa voix claironnante « à qui la faute camarade ? » et tous de rire)
Si on revient sur des arguments qui sont des lieux communs pour certains hommes, dans les assemblées, entre les deux guerres, quand il a été question du vote des femmes, on a souvent entendu « si les femmes votent, elles vont mettre le bordel dans les assemblées mais aussi dans la famille, le foyer sera un enfer, les enfants seront négligés ». Aujourd’hui tout le monde reconnaît qu’il y a de plus en plus de femmes, qui ont fait des études, accèdent à des professions socio-économiques supérieures qui conduisent le plus souvent à des carrières politiques , aujourd’hui on entend: « oui ces femmes ont fait des études, elles peuvent aller travailler à haut niveau, ce sont des bourgeoises blanches, elles peuvent le faire parce qu’elles emploient, exploitent des femmes racisées, ou émigrées, de la précarité etc. ». Comment on se sort de ces nouvelles critiques concernant les femmes exerçant des responsabilités?, une association comme la vôtre doit pouvoir répondre. J’ajouterai au tableau que tu as fait de la femme d’intérieur la remarque des sénateurs qui ont dit ; « mais alors, qui va repriser nos chaussettes ? » Les femmes les ont attendus à la sortie du Sénat pour une démonstration et leur apprendre
Amelle Le Bras-Chopard rappelle les arguments du très misogyne Proudhon au 19èmesiècle contre le vote des femmes en écho à ceux-ci. : « si les femmes travaillent et si de plus elles vont dans des assemblées politiques, elles vont être obligées d’employer des domestiques » et comme il se disait socialiste…avec le développement de l’intersectionnalité c’est un argument qu’on va trouver de plus en plus
Christine Villeneuve : c’est une question sur laquelle on réfléchit à EA depuis le début notamment le fait que les assemblées politiques intègrent les garderies d’enfants. Il y a des tas de mesures qui peuvent faciliter la vie des femmes. Quand on parle du statut de l’élu on parle de tout ça à la fois, pas seulement la rémunération, la retraite, il y a aussi tout un continuum. On sait ce qui retient les femmes de se présenter et on veut toujours les culpabiliser. C’est une question pas prise en charge par la société, il y a des tas de pays avec des exemples de bonnes pratiques.
Brigitte Périllié : Quelle est la cheffe d’entreprise ou une responsable d’entreprise qui n’a pas une employée pour s’occuper de la maison et des enfants ? Elles en ont toutes, les horaires ne sont pas extensibles à tout va. Toute personne qui a des responsabilités de management en entreprise, quelque soit le type d’activité ne peut pas être à 4h30 à la sortie de l’école, jusqu’à 6h être disponible pour amener les enfants je ne sais où et ensuite faire à manger !e suis scandalisée par cette réflexion. C’est encore pour culpabiliser les femmes notamment les femmes blanches, on va les dénigrer dans leur appétence, leur envie d’avoir des vies publiques Une sénatrice présente rappelle que cette question de la sous-traitance des tâches ménagères concerne autant les hommes que les femmes alors pourquoi faire porter le chapeau aux seules femmes, en tout cas pour celles qui vivent en couple ?
[1] Voir le compte-rendu d’Armelle Danet dans la Lettre d’Elles aussi
(https://www.ellesaussi.org/images/LivreFemmesetRepublique.pdf)
[2] Directeur adjoint de l’ENS de garçons en 1929.
[3] https://whomakesthenews.org/wp-cotent/2021/10/Rapport-national-France-pdf