Je m’exprimerai au nom à la fois du réseau Elles aussi et de l’association finistérienne Rien sans elles, que je représente dans ce réseau.
Nous l’avons vu ce matin, l’égalité professionnelle véritable entre les femmes et les hommes reste à conquérir. Cependant l’engagement des femmes dans la sphère professionnelle est aujourd’hui un acquis et à ce titre fait l’objet de de nombreuses réflexions et propositions quant au nécessaire partage des temps. En revanche l’engagement politique apparaissant toujours comme un choix des individus, la conciliation des temps y demeure véritablement l’impensé.
Or l’engagement des femmes dans les instances élues est lui aussi une nécessité de notre démocratie. Et, très concrètement, en 2014, la mise en place de la parité dans les 13000 communes entre 500 et 3500 habitants va signifier l’élection de dizaines de milliers de nouvelles conseillères municipales !
J’ai donc choisi de vous parler de ces femmes des conseils municipaux et communautaires qui constituent la masse des femmes élues de ce pays, dans leur écrasante majorité élues à partir de la société civile,. Faute de temps, je laisserai de côté les itinéraires féminins au travers des partis politiques, voire les itinéraires de type professionnel que l’on voit actuellement se développer chez des hommes et des femmes jeunes.
Cette expérience des élues locales, j’ai pu l’appréhender à de multiples occasions depuis dix ans : dîners-débats dans le Finistère entre élues et candidates, colloques et rencontres de femmes élues, entretiens, enquêtes pour Rien sans elles, dont une mini-enquête que j’ai menée en 2002 sur les conjoints, et une interrogation de 205 femmes élues, conseillères, adjointes et maires, menée par questionnaire à la veille des municipales de 2008 sous la conduite de Nicole Roux, sociologue à l’Université de Brest et avec le soutien de la Délégation aux droits des femmes du Finistère.
J’évoquerai donc avec vous le poids considérable et spécifique de la sphère privée sur l’engagement de ces élues municipales, à l’entrée dans le mandat comme pendant son exercice, et la nécessité qui en découle de prendre des mesures pour faciliter l’entrée massive des femmes dans les conseils en 2014.
Dans quel contexte de vie personnelle se trouvent les femmes qui s’engagent dans la vie municipale ? Les jeunes femmes y sont peu représentées mais 68% des femmes de notre échantillon avaient malgré tout au moins deux enfants à charge à leur entrée dans le mandat. Elles sont aux 4/5 en activité professionnelle mais on constate une sur-représentation des métiers aux emplois du temps « modulables », comme les qualifient elles-mêmes les agricultrices ou les enseignantes interrogées, et une minorité significative des temps partiels, dont nous ne savons pas s’ils préexistent à l’engagement ou en sont la conséquence. Signalons le pourcentage surprenant de veuves : il s’agit de femmes généralement âgées, de milieu rural, entrées dans la vie municipale depuis longtemps, à une époque où peu de femmes s’y risquaient. Des femmes ayant appris à mener leurs barques seules, en assumant de front y compris des responsabilités traditionnellement considérées comme masculines…
Qui sont les conjoints de ces femmes et comment réagissent ils à cet engagement ?
Pas d’hommes au foyer (hormis évidemment les conjoints retraités), tous sont en activité professionnelle. A signaler : un quart des femmes de la mini enquête sur les conjoints sont davantage diplômées qu’eux. Toutes nos rencontres avec les candidates nous ont montré que les femmes s’engageaient quasi uniquement sur sollicitation forte et après une négociation conjugale, voire familiale, dûment menée. Jamais donc d’investissement en opposition avec le conjoint, une petite moitié d’entre elles s’étant même senties très encouragées par lui à franchir le pas. En revanche nous ne savons rien de toutes celles qui ont refusé d’être candidates. Très nombreuses, si l’on en croit les têtes de liste masculines qui, en 2008, se sont beaucoup plaint de leur difficulté à recruter des femmes, confrontés aux arguments « Je n’ai pas le temps », « Je ne serai pas capable ». Pas si nombreux, si l’on écoute les femmes têtes de liste qui semblent avoir trouvé facilement les mots pour les convaincre ! Et derrière ces arguments de refus, n’y aurait-il pas également une conciliation conjugale impossible ?
Une fois que les femmes sont embarquées dans le mandat municipal, comment s’articulent leurs temps professionnel, politique et personnel ?
Difficilement. Et elles souffrent clairement de leur indisponibilité, particulièrement en soirée.. Lorsqu’elles nous disent ne pas souhaiter renouveler leur mandat en 2008 – et elles sont 51% de notre échantillon dans ce cas -, en tête des raisons invoquées, il y a l’impossible conciliation des temps. Elles présentent pourtant leurs conjoints comme des hommes plutôt aidants, davantage d’ailleurs dans la prise en charge des enfants que dans les travaux domestiques. Mais lorsqu’elles répondent précisément sur les heures consacrées à ces tâches, il apparaît que ce sont toujours elles qui en assument largement le plus ! L’engagement municipal ne remet donc totalement pas en cause les schémas dominants. Malgré tout, j’ai décelé chez les conjoints de femmes élues que j’ai pu interroger, même les plus âgés, des éléments qui viennent relativiser la domination masculine traditionnelle : images héritées de l’enfance de femmes ayant assumé l’essentiel du pouvoir familial, conscience plus ou moins élaborée du système de domination auquel ils participent, capacité d’autonomie, visibilité sociale moins forte que celle de leur compagne, personnalité plutôt réservée. Ils ne remplacent pas forcément la femme dans la sphère domestique mais ils tolèrent relativement bien qu’elle s’en échappe.
Mais la difficulté à concilier les temps n’est pas la même si l’élue est adjointe ou si elle reste simple conseillère, dans la majorité comme dans l’opposition. Et paradoxalement ce sont les simples conseillères qui se plaignent le plus de leur mandat chrono phage ! Pour quelles raisons ? Les femmes qui entrent dans l’exécutif envisagent d’emblée une réorganisation de leur vie et une négociation des temps. On en connaît d’ailleurs beaucoup (beaucoup plus que d’hommes !) qui réduisent leur temps d’activité professionnelle, sans compensation financière véritable et avec la perte sèche que cela signifie pour leur droit à la retraite. En revanche les futures conseillères ont souvent accepté de se présenter avec l’illusion qu’elles pourraient ne pas changer grand chose à leur quotidien. Elles ont d’ailleurs été largement poussées dans cette erreur d’appréciation par la malhonnêteté de celui qui les sollicitait sur l’air de « Ne t’inquiète pas, c’est rien ! Juste une ou deux réunions par mois! ». Et elles découvrent un succession de réunions et de représentations diverses, sans qu’elles se sentent le moindre poids sur les décisions prises. Et c’est surtout ce sentiment d’inutilité qui leur rend difficilement supportable le temps qu’elles doivent consacrer à leur mandat.
Car les femmes qui franchissent le cap difficile de la candidature le font pour agir, pour changer les choses dans leur commune. Les élues heureuses expriment leur bonheur à s’enrichir, à se construire personnellement et socialement, à travailler en équipe pour la collectivité, à apporter une contribution des femmes « vitale pour une cohabitation communale plus harmonieuse ». A l’inverse, c’est l’insatisfaction laissée par le travail non accompli, autant que la lourdeur de la tâche, qui conduit nombre d’entre elles à renoncer. Le modèle masculin, encore très présent dans les petites communes, de conseiller municipal axé sur les avantages de la notabilité ne les intéresse majoritairement pas. Et seuls le travail et l’action justifient souvent à leurs yeux le temps pris sur la sphère familiale. Finalement, la culpabilité qui les mine a au moins ceci de bon qu’elle les rend parfaitement lucides dans le regard qu’elles portent sur le fonctionnement et l’efficacité d’une équipe municipale !
En ce qui concerne l’impact du mandat sur l’attitude du conjoint et la vie de couple, j’en aurais tant à dire qu’il m’est difficile de synthétiser. Quelques remarques cependant. Les femmes jeunes se font reprocher leurs absences davantage que les élues plus âgées, lesquelles évoquent souvent un mari « qui a fini par s’y faire ». Majoritairement, les conjoints les encourageraient plutôt à poursuivre. Certaines élues signalent dans les bénéfices du mandat un intérêt croissant du conjoint pour la chose publique et un enrichissement du dialogue conjugal. Mais le plus frappant, chez les élues satisfaites de leur conjugalité, c’est la conscience largement partagée d’être accompagnée par un homme particulièrement tolérant et respectueux de leur identité. En contradiction avec ce tableau plutôt positif : notre constat empirique de divorces, repérés dans les résultats électoraux, au travers du passage entre deux mandats. d’un nom patronymique à deux noms accolés. Ne serait-ce pas surtout le fait de femmes maires dont la forte image publique remettrait exagérément en cause les rapports sociaux de sexe dominants ?…
On l’aura compris au travers de ces résultats d’enquête : la difficulté des femmes à rajouter une fonction d’élue à leur vie professionnelle et familiale fragilise considérablement leur participation à la vie politique, même si celles qui franchissent le pas des responsabilités fortes disent tous les bonheurs que celles-ci leur procurent. Et pourtant les élues dont je vous ai parlé aujourd’hui vivent en Bretagne, une terre davantage paritaire que la plupart de nos départements.. ..
Cette difficulté interdit sans doute à de nombreuses femmes de seulement envisager un tel mandat sans l’accord total du conjoint, pas toujours enclin à remettre en cause la domination masculine dont il tire profit. Elle interdit ou presque l’entrée dans les instances municipales et communautaires de jeunes femmes en début de carrière professionnelle et de construction familiale. A ce sujet je me pose une question : la coparentalité absolue, la répartition équitable entre femme et homme y compris de la charge mentale que représente l’organisation familiale, suffiraient-elles à leur ouvrir les portes ? Ou, en l’absence d’autres mesures incitatives, n’aurait-elle pas plutôt pour effet de retirer EGALEMENT les jeunes hommes de la sphère publique ?
Pour une parité stabilisée et représentative dans toutes les instances élues, Elles aussi préconise un certain nombre de mesures énoncées dans notre livret Pour une vraie parité. Et seule une lutte constante contre les stéréotypes de genre, permettra d’établir un véritable partage de la gouvernance entre les hommes et les femmes
Mais la parité prévue en 2014 dans toutes les communes de plus de 500 habitants impose, dès maintenant, un certain nombre de mesures pour qu’arrivent massivement dans les instances locales les femmes encore jeunes et pleines d’énergie dont elles ont besoin
- dans le cadre d’un statut de l’élu-e local-e, il faut créer un congé civique, inspiré du congé parental d’éducation, à moduler selon le type de responsabilité assumée, avec le droit à la réintégration totale dans l’emploi et un régime de cotisation sociale d’élu amélioré et étendu
- en amont des futures municipales de 2014 et à partir d’une évaluation de l’exercice de la parité dans les conseils, il faut qu’une campagne nationale forte valorise les femmes élues locales, leur apport à la vie municipale, esquisse un modèle féminin de l’élue locale et incite les femmes de la société civile à la candidature. Le réseau Elles aussi pourrait y collaborer et amorce ce travail en vue de 2014 avec, en 2011, dans les départements, l’opération Marianne de la parité dont notre présidente pourra vous dire quelques mots
- il faudrait aussi une transformation sérieuse d’un certain nombre de pratiques de vie municipale, largement héritées de deux siècles de conseils presque exclusivement masculins, qui découragent les femmes toujours enclines à mettre en parallèle l’utilité du temps consacré à leur mandat et l’importance de la vie privée . Parmi les bonnes pratiques, je citerai la prise en compte des contraintes familiales dans la gestion du temps, un partage de la décision, l’octroi de missions à tous les conseillers qui le souhaitent, dans l’opposition comme dans la majorité etc..
Je terminerai par une adresse à Madame la Ministre de la Cohésion sociale. En 2001 comme en 2008, pour les dîners-débats organisés avec les candidates dans le Finistère, je me suis largement inspirée de son petit livre « Les maires, fête ou défaite? ». Roselyne Bachelot a connu en effet dans sa ville, pendant plusieurs années, la difficile condition de conseillère municipale d’opposition et cette expérience lui a donné à comprendre bien des dysfonctionnements des conseils. Je lui fais donc confiance pour être réceptive à la problématique des femmes élues locales et pour envisager des mesures capables d’assurer de manière pérenne la co-gestion des affaires locales par les femmes et les hommes. Je vous remercie
Annette Vazel
Elles aussi
Rien sans elles