Compte rendu d’enquête, à partir d’entretiens réalisés, entre décembre 2020 et mars 2021 par Constance Meillet, étudiante en histoire et sciences politiques à l’Institut catholique de Paris, en stage à Elles aussi.
Qui sont-elles ?
Elles sont douze maires élues ou réélues en 2020, et une de plus, tête de liste aux dernières élections municipales, qui a échoué de peu de voix. Elles sont à la tête de villes petites ou moyennes (moins de 25 000 hab.), et trois d’entre elles sont maires d’un village de moins de 1000 habitants. Elles ont entre 35 et 75 ans (âge moyen 54 ans).
Elles ne sont pas novices, plutôt expérimentées, dans une carrière politique ascendante, avec un point de vue éclairé par plusieurs mandats locaux. Elles ont toutes un capital qu’elles soulignent, qu’il soit militant associatif ou politique, familial ou professionnel, une expérience qu’elles mettent en travail dans leurs tâches de maire. Ainsi légitimées, certaines ont été repérées, soutenues par des figures tutélaires masculines assez ouvertes pour voir à travers elles un potentiel à réaliser. Courageusement, avec leurs forces personnelles et leurs appuis, elles ont su profiter des opportunités, saisir les mains tendues, s’adapter au milieu électif.
Rares sont celles pour qui le désir d’engagement vise directement le champ politique et une position de maire rapidement atteinte, comme l’exprime l’une d’entre elles :
« J’avais toujours eu en tête que je ferai une carrière politique et j’ai fait des études en fonction de ça. … j’avais toujours eu envie d’être maire dans une petite commune rurale (ER).
Pour toutes, ce sont des leaders politiques locaux qui sont venus les solliciter au vu de leur implication au sein du monde associatif, le passage au politique pouvant être facilité par une forme d’héritage familial :
« J’ai une vie de bénévolat depuis 40 ans. Quand vous êtes très engagée dans l’associatif, à un moment les politiques viennent vous chercher. Je viens d’une famille très engagée puisque mon grand-père était maire, ma mère a été adjointe, mon beau-frère est élu également. La politique c’est quelque chose de présent dans ma famille et cela m’a intéressé. » (CB)
« J’ai eu une culture familiale d’engagement de gauche avec des parents très militants. C’est surtout par l’investissement dans l’associatif que je suis arrivée en politique. L’idée c’est de faire de la politique au sens premier du terme c’est-à-dire agir pour la ville. » (FJ)
Devenir maire, vient après plusieurs étapes où elles ont pu montrer leurs capacités et faire leurs preuves à travers d’autres mandats gagnés ou non :
« Repérée par le maire de mon village pour être adjointe en 2014, j’ai accepté. Y.N, m’avait proposé d’être suppléante au conseil départemental, je suis donc devenue suppléante ; c’était un autre pas. En 2015, on m’a proposé de partir aux régionales. J’ai été élue. Le conseil régional me permet d’appréhender le système de la politique locale. A force de discussions avec les hommes politiques qui m’entouraient et après concertation avec mes petits et mon mari, j’ai décidé que je voulais être maire de ma ville. C’est ce que j’ai réussi à faire au premier tour en mars 2020 ; j’en suis très heureuse. » (SC)
L’exigence de parité, aussi limitée qu’elle soit à ses débuts a obligé les leaders en place à prendre conscience de la présence des femmes et de leurs capabilités :
« Je me suis engagée à gauche, socialiste, et je me suis dit que je ne voulais pas que ma fille grandisse dans un monde avec autant d’inégalités. C’était il y a 20 ans, je n’imaginais pas être élue un jour. En 2006, des amis m’ont proposé d’être candidate dans ma circonscription, réservée à une femme. C’était une circonscription « pas gagnable ». Souvent à l’époque, les circonscriptions réservées aux femmes n’étaient pas gagnables…Je ne pouvais pas ne pas saisir cette occasion alors qu’on disait qu’on ne laissait pas de places aux femmes…. J’ai fait un bon score ; on m’a sollicitée pour les municipales suivantes où on a perdu de peu en 2008. Ensuite il y eut les régionales et élue, je suis devenue vice-présidente entre 2010 et 2015 » (CC).
« Etant femme et jeune au PS, j’ai été vite repérée pour porter des mandats, car avec la parité on manquait de femmes et on était toujours aussi peu nombreuse à oser prendre des responsabilités. » (FC)
Concilier ses mandats et ses autres vies
Quelques- unes d’entre elles, par leur exemple, montrent à toutes que procréation ou jeunes enfants sont compatibles avec un engagement politique :
« En 2014, j’étais tête de liste et j’ai mené une grossesse pendant la campagne. La naissance a eu lieu fin novembre, avec les élections en mars. J’ai repris très vite la campagne …et j’entendais : comment va-t-elle faire la campagne et comment pourra-t-elle être maire avec un bébé ? Je n’ai jamais entendu ça pour un homme jeune papa ! » (CC)
Elles témoignent des contraintes familiales et professionnelles dont il leur a fallu se libérer pour exercer pleinement leur mandat ; leur moyenne d’âge de 54 ans, montre que la charge mentale et physique des enfants, apport vital à la société, est encore porté par les femmes :
« Il faut combattre les freins ; ’être une élue bouleverse l’équilibre familial, cela prend énormément de temps quand on veut bien accomplir ses missions. S’il y a des enfants en bas-âge, il faut que le conjoint soit partant à 100% pour que la vie familiale puisse ne pas trop en souffrir. » (AV)
« Ce qui est compliqué pour une femme c’est qu’on doit avoir 48h en 24h. On a plusieurs vies, on a plusieurs métiers et on est obligées d’assumer. Moi, j’ai eu de la chance, j’avais un mari formidable qui m’a épaulée. C’est un véritable travail d’équipe, on ne peut pas faire ça tout seul. J’ai essayé de ne pas mettre de côté mon petit de trois ans, j’avais mal au cœur de le laisser à la maison. Je me disais que je l’abandonnais en allant à une réunion. » (JP)
Mais dans leurs dires, la contrainte la plus forte paraît se situer sur le plan professionnel : la plupart ont dû réduire ou abandonner leur activité pour accomplir pleinement leur mandat, tout en refusant de se placer dans la perspective d’une réélection pour avoir les moyens de vivre :
« Il faut beaucoup d’organisation pour être en alternance à la mairie ; il y a des dossiers à rouvrir, des jalons à poser. J’ai suspendu mon activité pendant quelques temps pour me consacrer exclusivement à mon mandat de maire. Il y a un équilibre à trouver : donner suffisamment de temps au mandat et aussi ne pas dépendre totalement et financièrement du mandat. Ne pas être amenée à dire : il faut que je me représente et que je sois réélue. » (FJ)
Les équilibres trouvés s’adaptent aux situations personnelles et à l’âge :
« Je travaillais au Conseil Général, j’ai diminué mon temps de travail à trois jours par semaine, et j’étais mobilisée sur mes mandats d’élue les jeudis et vendredis. » (ER)
« Quand je suis devenue maire avant la fin du mandat j’ai continué à travailler comme ingénieure, un métier aussi très prenant. J’ai arrêté au moment des élections par souci de faire bien les choses des deux côtés. Le fait d’arrêter ma profession m’a permis de m’engager aux fonctions intercommunales. » (MCT)
« Je suis toujours en activité professionnelle ; ce n’est pas toujours évident de mener les deux de front. Mon indemnité ne me permet pas de tout arrêter. J’ai une capacité de travail importante. Je suis cadre dans une entreprise et je manage une vingtaine de personnes. Mon activité professionnelle m’a permis de gérer des choses à la mairie (communication, prise de parole en public, leadership). Mon expérience professionnelle me permet de mener le mieux possible mes tâches municipales. » (MMV)
Cela repose la question récurrente de la professionnalisation des élus et de la fonction implicite de bénévole pour la collectivité qu’occupe encore l’élu.e dans notre démocratie, et le peu de reconnaissance du monde économique pour cette fonction. En contrepoint, on trouve un statut de l’élu local encore insuffisant quoiqu’il ait été amélioré sur la prise en compte du retour à la vie professionnelle après plusieurs mandats. Cela est d’autant plus nécessaire dans une perspective de limitation du nombre de mêmes mandats dans le temps.
« Aujourd’hui, j’ai démissionné de mon travail. Si je ne suis pas élue, je n’ai plus de travail et je ne touche pas de chômage. Cela veut donc dire qu’il faut un statut de l’élu. Il faut qu’on ait la capacité de rebondir et de se former. Il y a eu des choses qui ont été mises en place, maintenant, on cotise à un droit individuel à la formation. » (FJ)
Constituer une liste et faire campagne
La parité en actes
Toutes témoignent de l’effet des lois sur la parité, sur les mentalités dans la société. L’arrivée de maires femmes dans certaines localités ont habitué les esprits :
« Je fus un peu seule pour construire ma liste, ce ne fut pas facile. Nous sommes une petite commune, sans parti. La tête de liste doit aller chercher les gens. Pour construire une liste de 15 personnes, j’ai contacté 60 à 70 personnes. Beaucoup de gens n’ont pas envie de s’investir, même des retraités. Il y a un désintérêt de la population pour ces missions. Il faut travailler là-dessus. Pourtant la population est exigeante. J’avais plus de femmes que d’hommes. Les femmes avaient plus envie de s’investir. J’ai même dû en refuser, parité oblige dans les deux sens ! J’ai plus galéré pour trouver des hommes. Il faut savoir que dans ma commune, depuis plusieurs mandats, il y a eu 3 femmes maires qui se sont succédées. » (MMV)
« J’ai cherché à monter une équipe de quinze conseillers municipaux avec une parité hommes – femmes. Il a été difficile de trouver des hommes dans cette liste, paradoxalement j’aurais pu constituer une liste uniquement de femmes. Donc ceux qui disent que la parité c’est compliqué ce n’est pas vrai. » (MC)
Que les femmes et les hommes soient également éligibles est acquis. Dans la pratique c’est plus difficile mais l’engagement des femmes ne fait pas défaut. Bien sûr, elles sont plus difficiles à convaincre tant elles ne pensent pas d’abord à un bénéfice narcissique, mais à la réalisation effective au regard de leur équilibre de vie, et à leurs compétences propres au regard de la fonction.
« Une difficulté à trouver des femmes ? Oui la première fois en 2008, aussi en 2014, mais en 2020, beaucoup moins. J’ai dû les convaincre. L’action politique peut être très dure, on prend des coups, on doit subir des accusations, on va entendre beaucoup de méchancetés, de déformations. Il faut résister à tout ça. Certaines personnes disent « c’est trop dur, je me bats pour défendre des idées, pour des projets » mais ne peuvent accepter la contrepartie (AV).
« C’est mon 3e mandat et je n’ai jamais eu de difficulté à trouver des femmes. Ce qui est compliqué, c’est lorsque l’on met la liste dans l’ordre « un homme-une femme ». Cette loi- parité, qui a permis l’entrée des femmes et l’équité au niveau des conseils municipaux, est vraiment rigide. On en vient de temps en temps à occulter les compétences des uns et des autres. Mais, en l’occurrence, on a toujours réussi à équilibrer vraiment de manière naturelle. » (FJ)
La suspicion d’incompétence pèse toujours sur les femmes. Autocensure des femmes ou subordination millénaire dont cette génération est en train de se libérer avec pragmatisme ? Les hésitations des femmes à s’engager ne poussent-elles pas aussi à questionner des pratiques de socialisation politique nuisibles à tous ?
« Je crois tout simplement qu’il faut dire aux femmes : « ne culpabilisez pas de vouloir vous investir, vous avez le droit de réussir. ». C’est fini les suffragettes ; Quelque part, je suis l’héritière de ces générations de femmes-là. S’il fallait donner un message aux femmes ça serait de dire « vous avez le droit ». On est dans une France libre et libérée. » (SC)
Les leviers du succès : force du collectif et sens des réalités
Toutes mettent en avant l’équipe qui les a portées à la tête de la commune durant la campagne et aidées à résister à ses violences, exemple :
« On a créé un collectif un an avant les élections pour être présents aux élections, sans penser que je serais la tête de liste. Les profils y étaient très différents : certains militants dans des partis, d’autres des citoyens qui avaient envie de réfléchir, d’autres qui faisaient partie d’associations. J’ai été très soutenue par le collectif dans ma nomination de tête de liste puis dans toute la campagne ; ma liste comprend en grande partie des personnes issues de ce collectif qui avaient accepté de prendre des responsabilités. Ce qui est intéressant c’est qu’une autre partie du collectif s’est engagée dans les commissions extramunicipales.
Ce qui a fait la différence pour gagner face au maire sortant, c’est d’abord la qualité de la campagne ; je pense que j’ai été sous-estimée, une femme de 40 ans, éducatrice de jeunes enfants, il n’y a pas eu la perception qu’avec le collectif il y avait du potentiel. Ensuite on a fait une campagne très positive et de terrain, aucune agressivité, au plus près de la réalité, donc notre discours s’en ressentait et cela a plu. Le maire sortant m’a beaucoup attaquée sur ma personne, je pense que cela lui a porté préjudice. Le fait que je sois partie avec un collectif et l’union de la gauche, a eu un impact positif car l’idée était de rassembler, de fédérer. Pendant la campagne on parlait d’une équipe et pas d’une personne. » (FC)
L’action politique s’incarne et se nourrit de rencontres avec des gens et de leurs besoins réels :
« Avec le maire sortant qui était là depuis vingt ans c’étaient des gens qui ne voulaient rien changer, des personnes plutôt âgées qui voulaient un village résidentiel alors que la plupart des habitants veulent une crèche et des infrastructures. Ce n’était pas très difficile de les battre sur leur programme ». (MC)
Cela s’apprend aussi au travers d’expérience :
« En tant qu’adjointe de petite commune, j’avais dû être là en permanence. J’ai un respect énorme vis-à-vis des élus locaux, notamment ruraux parce qu’ils font beaucoup. Il faut prendre la fonction à bras le corps et c’est super enrichissant. Je crois que c’est ce qui m’a permis de gagner la mairie : les gens je les vois. J’ai une habitude : le matin, après avoir déposé les petits, je vais boire mon café dans un bar avant de partir au boulot à l’hôpital ou en mairie. » (SC)
Organiser la gouvernance
Le choix des adjoints est unanimement et rapidement dit entre désir des personnes et compétences y compris professionnellement acquises :
« J’ai allié compétence et envie. La compétence c’est primordial. » (SC).
« J’ai choisi les personnes sur plusieurs critères ; la volonté de faire changer les choses, la disponibilité, la bienveillance et l’apport d’une expertise à l’équipe, des gens qui avaient quelque chose à mettre dans la corbeille de la mairie. » (MC)
« Je ne vais pas confier à quelqu’un une mission qui lui fait horreur. J’essaie toujours de trouver une mission qui cadre avec ce que j’estime des capacités et des compétences de la personne, sachant qu’on est toujours capable d’évoluer. » (AV).
Réapparaît ici le clivage entretenu par la classe politique résistante à la parité entre « compétence » et « être une femme » entendu comme essentialiste et non comme partie de l’humanité exclue historiquement du champ politique et de bien d’autres parce que femelle. Les nuances dans les propos éclairent les féminismes des unes et des autres, qu’aucune ne revendique comme tel.
« Il faut valoriser les gens pour ce qu’ils ont comme compétences, il ne faut pas se focaliser sur le sexe de quelqu’un. C’en est même déconsidérer la femme. On n’a pas à différencier l’homme de la femme. Moi je porte l’humain avec un grand H. » (SC)
« Depuis, le début, dans le conseil, on a quasiment toujours eu une égalité entre les hommes et les femmes. Je ne dis pas qu’il faut systématiquement qu’il y ait des femmes, c’est si elles ont les compétences. » (DP)
Travailler avec tous les élus, un effet de l’expérience de mandats dans la minorité.
Un bon nombre de ces femmes ont à un moment ou un autre été conseillères municipales dans la minorité, elles notent l’aspect formateur et enrichissant de cette situation qui offre ensuite un point de vue double sur l’organisation de la mairie.
« Dans l’opposition, on n’est pas maître des décisions ; mais cela apprend à connaitre les dossiers, le travail dans les commissions, le travail en équipe ; c’est intéressant même si c’est frustrant. » (CB)
« J’ai appris énormément de choses dans l’opposition ; j’ai appris à bien connaître la ville. J’ai préparé des conseils municipaux pendant six ans puisque je prenais la parole pour défendre notre équipe et défendre son projet. Cela a été six ans de préparation intensive, qui m’ont permis de voir ce qui devait changer dans la gestion de la ville où il n’y avait pas eu d’alternance depuis 80 ans. » (AV)
« C’est formateur d’être dans l’opposition parce qu’on voit comment marchent les instances, et on a connaissance des dossiers, sans forcément en être moteur. Cela nous permet d’observer aussi comment on partage justement ce rôle. Par exemple, quand je suis arrivée à la tête de la commune, j’ai triplé l’espace d’expression de l’opposition. On a vraiment essayé de faire très attention à avoir des commissions constructives. Quand on est passé par l’opposition, on sait à quel point ça peut être frustrant de sentir qu’on n’a pas toutes les cartes en main. Il faut donc un juste équilibre. » (FJ)
Avec des nuances aussi :
« Un mandat de conseillère d’opposition n’apprend pas la gouvernance ; on apprend l’étude des dossiers et des territoires. Cela n’apprend pas les liens entre l’exécutif et les services administratifs de la mairie. De plus, il faut de la cohérence politique et de la solidarité entre les diverses délégations des adjoints et adjointes dans l’équipe. L’administration doit être mise en mouvement. Que les élus ne prennent pas la place de l’administration et réciproquement ! Ce n’est pas l’opposition qui m’a appris cela… sauf peut-être en voyant les erreurs !
Ce qui m’a été très utile c’est d’avoir participé à un exécutif ailleurs. Mon expérience à la région a été très utile pour moi. » (CC)
Avoir le souci des nouveaux élus
Réunions de formation en interne, séminaires, des exemples sont donnés de pratiques inclusives, pour qu’elles et ils, nouveaux élus soient accueillis, prennent conscience d’appartenir à une équipe et soient vite opérationnels :
« D’abord je leur propose des formations ; on fait deux jours de séminaire en début de mandat pour parler des projets, on fait une journée en balade pour se découvrir et également chaque année une journée de séminaire. » (AV)
« On a mis en place du « basique », ce qui n’était pas fait avant.
-Dès leur arrivée, j’ai mis en place des réunions de « formation » : qu’est-ce qu’un élu ? quel est le fonctionnement du conseil municipal ? le fonctionnement de la mairie ? quel est le rôle des commissions ? Pour leur donner une vision et du sens. Le conseil est très protocolaire, en commission, on travaille ensemble et on parle de projets. » – De temps en temps, j’organise des réunions de tous les membres du conseil hors conseil, hors réunion maireadjoints, pour des échanges. » (MMV)
Associer gouvernance et horizontalité
Comme une prolongation du jeu collectif de la campagne, toutes déclarent une organisation de la gouvernance où chacun est à sa place, mais où sa relation aux autres est pensée et organisée, le plus souvent sous forme de transmission d’expérience : l’ensemble des élu.e.s entre eux et hors commissions, les adjoints et adjointes avec les élus sans responsabilité définie, les élus avec le personnel administratif ou technique :
« On est 27 élus de la majorité ; tous les mardis soir, j’organise ce que j’appelle un « G27 ». Quand le conseil municipal approche, on passe du temps à le préparer. Sinon, il y a des nouvelles questions sur lesquelles on doit prendre position et on en discute tous ensemble. J’organise également régulièrement des réunions transversales entre les élus et les chefs de service sur leurs thématiques particulières : la famille, la jeunesse, l’urbanisme ou sur les problèmes de sécurité. On a une vingtaine de thématiques, que je fais tourner très régulièrement. » (AV)
« Tout se fait en équipe à chaque fois, je ne prends aucune décision toute seule ; il y a beaucoup de groupes de travail thématiques ; quand je suis arrivée à la mairie les élus n’avaient pas de bureau, j’ai fait en sorte que les adjoints aient un bureau, qu’il y ait un bureau pour les autres élus pour qu’ils travaillent ensemble. Ensuite il y a une réunion de l’exécutif toutes les semaines où se prennent les décisions, puis dans la semaine on va rajouter des réunions en équipe et il y a des séminaires le samedi matin. » (FC)
« J’essaie de mettre en route des réunions particulières avec les conseillers municipaux de la majorité et un ou deux adjoints, sans que la maire soit présente, pour ne pas écraser les conseillers par la présence de la maire et de tous les adjoints, pour faire le tour des dossiers ; cela rétablit une égalité avec les conseillers. Il me semble que nous, les femmes, avons moins d’enjeux avec le pouvoir ; enfin c’est mon cas. Est-ce parce que je suis une femme ? Je n’ai pas besoin de pouvoir pour une dominer. J’ai plus besoin d’emmener les gens, de faire du collectif, que d’asseoir une autorité par une domination Je préfère penser des actions collectives que donner des ordres indiscutables. (CC)
Inventer une démocratie participative en temps de covid
« La démocratie participative est une promesse de campagne. Il faut que l’équipe s’approprie les projets.
La démocratie est plus facile avec des citoyens qui sont intéressés et qui s’y connaissent. » (MCT)
« C’est très compliqué avec le Covid. On avait une tradition de travail avec les habitants sur des sujets types : aménagements d’un quartier, aménagement de voirie… Sur les trois mandats, on a toujours fait ça. Là où l’on se projette, c’est que l’on a envie d’impliquer davantage les habitants sur quelque chose d’encore plus large. J’aimerais vraiment que les gens s’impliquent dans la transition écologique de la commune, en apportant euxmêmes leurs propositions. Pour se faire, on travaille avec une association qui nous accompagne dans cette démarche-là. » (FJ)
« Deux commissions extra-municipales ont été créées, une de soutien à l’économie avec des commerçants, parce qu’à cause du Covid on a été interpelés par tous ceux qui ont été impactés par la crise, l’autre commission pour une ville en transition écologique et démocratique, donc avec des citoyens non élus. On a ouvert le bulletin municipal avec des pages ouvertes aux citoyens ; on a ouvert les conseils de quartiers qui jusque-là étaient fermés ; Dès que l’on sera sorti de la crise sanitaire, il y aura un kiosque des élus sur le marché, on va organiser des visites de quartiers ; des boites à idées vont être mises en place en différents endroits » (FC)
« Ce n’est pas facile avec la covid. Je n’ai pas pu réunir tous les agents … C’était mon rêve de les réunir et leur présenter notre projet collectif élus-agents. Ce n’est pas possible ; c’est la même chose pour les citoyens. On a lancé les premiers budgets participatifs …. On a déjà 50 projets déposés. Les services vont étudier la faisabilité (ne pas dépasser le budget et rester dans les compétences de la mairie). Puis les citoyens choisiront les projets qu’ils souhaitent …. Il faut de la vraie démocratie participative. Cela ne peut pas être le fait de quelques acteurs, quelques personnes très investies et qui ont l’habitude de prendre la parole et qui, quand elles ont une idée, pensent que la démocratie participative consiste à les écouter, elles. Ne pas tomber dans ce travers ! » (CC)
Résister et construire une nouvelle éthique politique.
Le registre du care est présent chez certaines selon leur histoire ou appartenance :
« Je vois le rôle politique de l’élu comme l’assistant social du peuple. Le maire c’est pour moi le plus beau mandat de proximité. » (SC)
« Quelque fois c’est un avantage d’être une femme, comme dans les situations de crise où les femmes sont plus apaisantes, ne renchérissent pas dans le conflit. » (CB)
Plus généralement, les femmes en politique sont encore, à ce niveau, considérées par le milieu politique ou par la population comme des transfuges de classe. Elles se font rappeler par maints indices, ou pire par des attaques misogynes, qu’elles sont là parce qu’elles ont montré leur capabilité, mais ne sont pas vraiment légitimes.
« J’ai senti que pour être élue (la deuxième femme à être maire) il fallait que je rassure en montrant qu’il y avait des hommes d’une certaine maturité dans mon équipe. » (FC)
« Une crédibilité des femmes arrive. Les femmes doivent être plus fortes, apporter plus d’énergie que les hommes pour être crédibles. » (MMV)
Est-ce manque un qui les pousse à autant investir dans les rapports aux autres et l’égalité des rapports entre élus, pour développer quelque chose d’original qui leur appartienne et les écarte d’une masculinisation ?
Sur la démocratie locale
Une relation contrastée des maires à l’intercommunalité, suivant la taille de la commune.
Pour les présidentes : une fonction très différente de celle de maire en termes d’élargissement à un territoire, qui oblige par exemple à considérer sans fracture villes et ruralités. Pour les viceprésidentes : une ouverture très dynamisante vers des projets à bonne échelle, et avec un panel d’interlocuteurs plus large et un consensus à trouver ; l’intercommunalité est vécue aussi comme espace de solidarité entre communes. Pour des maires conseillères communautaires : une gouvernance opaque et qui leur échappe, le bénéfice à décharger la commune de la gestion de certains secteurs cruciaux (eau, déchets, etc.), et la difficulté pour trouver de l’aide au quotidien.
« On a un projet de territoire ; l’idée est de ne plus avoir de fractures entre les villes plus urbaines et celles plus rurales. Il faut que tout le monde y trouve son compte, ce n’est pas du tout la même démarche que celle de maire. » (CB).
« Je ressens plus cette intercommunalité comme de la solidarité parce que je pense qu’elle a permis aux communes rurales d’accéder à des services d’intérêt général. » (JP)
« Notre interco provient d’une fusion d’intercos et il y a des habitudes différentes. Quand je vais en commission, il y a des différences entre communes, c’est laborieux, c’est une usine à gaz ! » (MMV)
« Comment trouver de l’aide à l’interco, c’est un vrai sujet. Quand on est une jeune maire, ce n’est pas facile » (MCT)
Un grand désamour quand la fusion d’intercos a intégré une « petite » commune en dehors de son lieu d’influence habituel et l’a séparée de communes avec lesquelles elle aurait pu fusionner.
« On est rattachés à une intercommunalité qui n’est pas notre bassin d’influence habituel. On est un village pauvre de gens riches dans une intercommunalité de villages riches de gens pauvres… On a l’impression d’être un peu délaissés et perdants dans cette intercommunalité. » (MC).
Sur une gouvernance paritaire dans les intercommunalités, pour un meilleur partage du pouvoir, les avis sont partagés
Pour certaines, il faudrait plus de femmes maires pour que cela soit possible, pour d’autres c’est souhaitable, jusqu’à envisager un scrutin de liste paritaire direct pour le conseil et l’exécutif, avec le risque que toutes les communes ne soient pas représentées.
« Les EPCI sont représentés par les maires en général. Si vous faites des listes paritaires, il faut que ça ait un sens ; il faut aussi que les têtes de liste soient 50% hommes et 50% femmes. Non, je ne suis pas sûre que ça soit la solution. Pour qu’il y ait plus de parité effective, il faut qu’il y ait plus de maires femmes. » (AV)
« On pourrait faire une élection à part, mais on n’aurait pas forcément des maires ou des élu.e.s des communes pour les représenter ; cela pourrait être d’autres citoyens mais je ne suis pas sûre que ce soit eux qui connaissent leur commune. Je trouve qu’aujourd’hui avec des élues de chaque commune il y a de la cohérence. » (CB)
« La solution serait peut-être une élection directe à la communauté. » (FJ)
« Maintenant, ce qu’il faut faire pour moi c’est à l’échelle de la communauté de communes, il faut que ce soit un suffrage direct avec un exécutif paritaire » (PP)
Une évaluation prudente des fusions de communes réalisées et pas de communes nouvelles imposées.
Option pragmatique pour les plus petites communes sans moyens humains et financiers. Repli sur le connu ou crainte de dilution d’identité ?
« Pour être franche, la solution pour moi serait que les petites communes fusionnent, ça permettrait de mutualiser les moyens et d’avoir plus de poids au niveau de l’intercommunalité » (PP)
« Je pense que c’est bien mais pas facile à mettre en place. Il y a le « cocorico » ; chaque village veut garder son libre arbitre et son histoire…cela reste difficile à expliquer aux concitoyens. » (MMV)
« Il faut qu’il y ait une logique de territoire sinon cela ne fonctionne pas. » (AV)
Un quasi-consensus sur le non-cumul des mandats dans le temps.
Pas plus de trois mêmes mandats successifs pour renouveler la vie locale et se renouveler soi-même
« Je suis assez favorable à ce qu’il y ait une limite de trois mandats, pour permettre un renouvellement des idées notamment ; si l’on limite le cumul des mandants dans le temps, il faut avoir un statut de l’élu à côté. »
(FJ)
« Il faudrait limiter à 3 mandats maximum avec 2 mandats pleins et le troisième pour préparer la suite. Le cumul ne favorise pas le renouvellement et même soi-même on ne se renouvelle pas. » (ER)
Des avis différents sur la proposition d’étendre le scrutin de liste paritaire aux communes de moins de 1000 habitants.
La difficulté de trouver suffisamment de candidats déclarés dans les « petites » communes équilibre les souhaits d’homogénéisation des scrutins ou les engagements pour la parité. Mais, la réalité est en avance sur les idéologues : dans les conseils des communes de l’échantillon sans contrainte paritaire, la parité est atteinte dans deux d’entre elles (8 femmes et 7 hommes) et frôlée dans la troisième (6 femmes et 9 hommes) !
Septembre 2021, Anne-Marie Marmier et Armelle Danet, avec le soutien de Danièle Bouchoule
Les femmes interviewées, désignées par leurs initiales et leurs fonctions (décembre 2020-mars 2021)
SC : maire d’une commune de 6900 hab., vice-présidente d’une communauté d’agglomération, conseillère régionale.
MC : maire d’une commune de 550 hab., conseillère communautaire.
CB : maire d’une commune de 7300 hab., présidente d’une communauté de communes.
MCT : maire d’une commune de 8000 hab., conseillère communautaire.
FJ : maire d’une commune de 6000hab., présidente d’une communauté urbaine.
PP : conseillère d’opposition dans une commune de2100 hab., vice-présidente d’une communauté de communes.
MMV : maire d’une commune de 1100hab., conseillère communautaire.
FC : maire d’une commune de 7200 hab., conseillère de communauté d’agglomération, conseillère régionale.
AV : maire d’une commune de 21 500 hab., vice-présidente d’une métropole.
DP : maire d’une commune de 936 hab., vice-présidente d’une communauté de communes.
CC : maire d’une commune de 21 000 hab., vice-présidente d’une métropole.
ER : maire d’une commune de900 hab., vice-présidente d’une communauté de communes.
JP : maire d’une commune de 14 200 hab., vice-présidente d’une communauté de communes.