10 Octobre 2019 : était organisé une conférence par Elle active Politique à l’Assemblé nationale à l’initiative de des députées Yaël Braun-Pivet, Marie-Pierre Rixain et Claire Pitollat : « être femme en politique, ce qu’il faut savoir pour réussir mais qu’on ne vous dit pas »

Etre femme en politique, ce qu’il faut savoir pour réussir mais qu’on ne vous dit pas
En France, seules 16% des maires sont des femmes. A moins de six mois des municipales, il nous a semblé essentiel de nous pencher sur la place des femmes en politique. Ce 10 octobre, nous avions rendez-vous à l’Assemblée nationale pour la première édition de ELLE Active Politique. Si vous rêvez ou pensez très sérieusement à vous lancer dans la course aux mandats, lisez vite les conseils de Marlène Schiappa, Laurence Rossignol et bien d’autres. 

« Si les femmes sont aussi jugées compétentes que les hommes pour gouverner, on ne leur passe rien », rappelle Anne-Cécile Sarfati, directrice de la diversification éditoriale et rédactrice en chef à ELLE. Et  l’enquête réalisée en exclusivité par OpinionWay pour ELLE Active Politique le souligne encore. Ce jeudi matin, c’est à l’Assemblée nationale que s’est tenu le premier ELLE Active Politique, en présence de lectrices, de député.e.s et d’expert.e.s. Lorsqu’on est une femme et qu’on veut se lancer en politique, que faut-il savoir pour réussir ? Existe-il des « recettes » secrètes que certains se gardent bien de partager ? Comment faire sa place face à des hommes aux ego parfois surdimensionnés ? Et se débarrasser du sexisme ? Faut-il nécessairement renoncer à toute vie personnelle ? On vous dit tout.

Oser défendre ses convictions

Laurence Rossignol, ancienne ministre des Droits des femmes et sénatrice de l’Oise, explique qu’il faut avant tout s’engager pour défendre ses valeurs. « Je pense que la première chose qu’il faut avoir quand on veut faire de la politique c’est des convictions. (…) Il faut s’engager en politique parce qu’on a envie de changer le monde, ou au contraire de s’opposer à ce qui change… », témoigne-t-elle. Virginie Duby-Muller ajoute que pour porter ses convictions, base de l’engagement politique, il est important d’avoir confiance en soi. Il faut en effet oser s’exprimer dans « des auditoires qui vous sont hostiles », explique la députée LR de la 4e circonscription de Haute-Savoie. Et cette assurance s’acquière. « Lorsque j’étais étudiante, j’étais plutôt quelqu’un de timide et finalement, c’est le fait de prendre la parole de plus en plus souvent qui met à l’épreuve vos convictions et qui fait que vous êtes de plus en plus crédible lorsque vous vous exprimez. Mais à la base vous êtes attendue au tournant, encore plus lorsque vous êtes une femme, et il faut faire ses preuves, parfois plus qu’un homme sur un certain nombre de sujets », ajoute-t-elle.

« Ne pas oublier d’où l’on vient »
Ces femmes politiques expliquent qu’il faut un certain ego pour se lancer en politique, tout en veillant à garder les pieds sur terre. Selon Laurence Rossignol, il est en effet important de croire en soi et de ne pas douter de ses capacités dans un milieu qui favorise les hommes. « C’est vrai que tous les stéréotypes, toutes les qualités qu’on retient et qu’on développe chez les petites filles ne les amènent pas à avoir confiance en elles pour aller occuper et conquérir la sphère sociale. On développe toujours des qualités de l’intime, du lien, du "care" chez les petites filles, mais pas des qualités de l’entraînement des autres, du charisme, d’être un leader. » Il faut alors oser aller à contre-courant et ne pas avoir peur de s’imposer.
Attention cependant à ne pas avoir un ego surdimensionné. Il faut savoir rester humble, remarque Virginie Duby-Muller : « Il ne faut pas oublier d’où l’on vient, quand on est élu, on dépend du vote des électeurs, un mandat est extrêmement fragile. » De plus, la politique est un milieu si violent qu’il faut parfois avoir un « égo minuscule », précise Laurence Rossignol. Ou du moins faut-il placer son ego dans une carapace extrêmement solide, nul n’étant à l’abri de se retrouver au cœur d’un tweet clash du jour au lendemain… « Tout ça est très dur, violent. La politique c’est quand même 90% de frustration et d’humiliation, pour 10% maximum de retour sur investissement en termes d’ego. »

Se protéger dans un milieu hostile

Les attaques, les mots déplacés et les remarques blessantes font parfois partie du quotidien. « Il m’est arrivé de ne pas dormir tellement j’étais humiliée, maltraitée, dans un conseil municipal par un adversaire politique qui utilisait tout ce que le pouvoir lui donnait comme moyen contre moi. Il m’est arrivé de pleurer d’humiliation », confie Laurence Rossignol avant d’ajouter : « La politique c’est la jungle, c’est avant la civilisation ». Virginie Duby-Muller explique quant à elle qu’il faut parfois se battre en circonscription, sur son territoire, mais aussi à l’intérieur même de son groupe politique. Élue à l’âge de 32 ans, alors mère d’un jeune enfant, elle a essuyé de nombreuses critiques. Certains osaient même lui demander si sa fille la reconnaissait encore !
Mais comment survivre dans un milieu si violent, spécialement à l’égard des femmes ? Les invitées répondent unanimement : les proches jouent un rôle primordial. « Je pense qu’on se protège en ayant notre vie à côté, en investissant pas tout dans la rétribution politique. Et ce sont aussi les nôtres qui nous protègent. Je dis souvent pour une femme qui se présente en politique qu’il lui faut des parents qui la poussent, la soutiennent », témoigne Laurence Rossignol. « Il lui faut un compagnon ou une compagne qui va aussi la soutenir et ne pas être en concurrence d’ego avec elle. Et je dis aux jeunes femmes : "si vous sentez que votre mec est en concurrence avec vous et que vous voulez faire de la politique, changez-en tout de suite !" », ajoute-t-elle avec humour.

Dans un système politique qui n’a pas beaucoup évolué, Laurence Rossignol admet la nécessité d’être stratège. « Il faut être maligne au moment d’attraper l’investiture. Pour faire son chemin dans un monde dont les clés et les codes ont peu changé, où les transferts de pouvoir n’ont pas eu lieu, il faut quand même pactiser avec ceux qui ont les clés… », souligne la sénatrice de l’Oise.
Virginie Duby-Muller rappelle aux femmes qu’il faut aussi lever les barrières psychologiques qui les freinent. Quand on leur propose un poste, les femmes se demandent parfois si elles vont y arriver, si elles ont les compétences requises ou comment elles vont s’organiser… question qu’un homme se pose rarement !  

Ne plus taire les comportements sexistes  

C’est la mission que s’est donnée Mathilde Julié-Viot, conseillère aux affaires culturelles et sociales pour le groupe LFI. Elle a co-fondé « Chair collaboratrice » pour libérer la parole au sein de l’Assemblée nationale. Ce lieu de pouvoir n’échappe pas au sexisme. Quelques chiffres ? Une assistante parlementaire sur deux rapporte avoir été victime de blagues sexistes et sexuelles. Une collaboratrice sur cinq se dit victime d’une agression. Et moins de la moitié de ces femmes en ont parlé. Les collaboratrices parlementaires sont particulièrement exposées de par leur statut. Il faut savoir que leur contrat peut être résilié à tout moment dès que le député estime que le lien de confiance est brisé. « Vous imaginez bien qu’une femme qui va se plaindre ou refuser ses avances ne peut parler car elle met en danger son contrat de travail. C’est une forme de domination très puissante », alerte Mathilde Julié-Viot. Alors, comment réagir face à ces situations ? Pascale Pitavy, directrice associée de Equilibres, donne des pistes. « Il faut exprimer son ressenti : "je ne suis clairement pas à l’aise, ça ne me convient pas, on peut changer de conversation" ». Pourquoi aussi ne pas « transposer à une situation personnelle » ? Par exemple, « si on disait ça à ta femme, ta fille, ton fils, est-ce que tu l’accepterais ? »

« Ajuster sans cesse l’équilibre familial »

Seul homme à intervenir au cours de cette conférence, le député Modem du Finistère Erwan Balanant, réalisateur de métier, a reconnu que le partage des tâches entre lui et son épouse, entrepreneure, s’est déséquilibré depuis son élection. « Mais, pendant très longtemps, c’est moi qui allais chercher notre fille de neuf ans à l’école. Ma femme et moi ne sommes pas dans le calcul, on a plutôt conscience de pouvoir compter l’un sur l’autre. » Et d’ajouter : « Chez moi, je fais tout le ménage. » Même si « la charge mentale de ma femme reste plus importante. » Pouvoir se reposer sur son conjoint, la clé également pour Bérangère Abba, députée LREM de la Haute-Marne et mère de quatre enfants : « notre équilibre familial dépend d'une organisation quasi-militaire et un côté folk, puisqu’il faut s’adapter au quotidien, aux urgences. » Des témoignages en écho à l’analyse de la docteure en sciences économiques, Pascale Pitavy. « Les couples à double carrière reposent sur des stratégies et ajustements permanents. Les études montrent qu’ils doivent lutter contre des visions socio-culturelles fortes et doivent bousculer des normes parfois très intériorisées. »

Bousculer les codes 

Ces visions stéréotypées, Bérangère Abba et son conjoint les ont largement bousculées. « Quand j’ai candidaté pour devenir députée, j’ai passé un test de grossesse qui s’est avéré positif. Mon mari, formidable, m’a dit : si tu es élue, je prendrai un congé parental. Il l’a fait et est ainsi devenu la mascotte de l’Assemblée : pendant plusieurs mois, on l’a vu déambuler dans les couloirs avec notre bébé, parce que j’allaitais. » Des comportements avant-gardistes qui ne doivent pas pour autant occulter les remarques essuyées par la députée de la Haute-Marne, enceinte lors des législatives : « lors d’une réunion de campagne, une femme élue s’est levée, m’a regardée de haut en bas et m’a assurée qu’être une bonne députée suppose de ne pas avoir d’enfant en bas âge. » Un sexisme qu’Erwan Balanant a souligné, à sa manière : « Il est arrivé plusieurs fois que ma fille vienne à l’Assemblée. Je suis alors passé pour un super héros ! A l’inverse, une femme qui est députée est une mère indigne. Il y a un vrai travail à faire. »

Poser le téléphone même si ce n’est que pour quelques heures »

Parallèlement à cette lutte contre les stéréotypes, être député est aussi une bataille pour ménager sa famille. Car ce statut suppose « une prévisibilité quasi nulle, a expliqué Erwan Balanant. Je ne peux jamais dire le matin si je serai là le soir. Du coup, avec mon épouse, on a décidé qu’elle assurait le soir, et moi le matin. » Une résolution que son mandat ne lui permet pas toujours de tenir. « Mon compagnon a connu le syndrome Desperate Housewives, a confié quant à elle Bérangère Abba. Il s’est retrouvé dans un quotidien avec des tâches logistiques qui laissent peu de place pour le reste.  Il a fallu rééquilibrer tout cela et être plus vigilant quant aux moments partagés. » Ses pistes pour mieux profiter de sa famille ? Poser son téléphone quand il rentre à la maison, ne serait-ce que pour quelques heures. « Quand je le peux, j’essaie de rentrer plus tôt. Ce que j’ai fait pas plus tard qu’hier soir : j’ai pu passer un peu de temps avec ma fille. » Des moments rares auxquels, il convient, de donner « une qualité top niveau. »
 
 « La politique, ce n’est pas si difficile que ça ! »

Venue conclure cette matinée d’échanges, Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, a elle aussi des choses à dire. La première ? Redescendons un peu sur terre. « Depuis très longtemps, les gens qui font de la politique ont expliqué que c’était extraordinairement dur, qu’il fallait avoir bac + 12 pour comprendre. On a maintenu éloigné de la politique tout un pan de la population en disant "c’est trop compliqué pour vous, on va s’en charger". Ce n’est pas si difficile que ça, il ne faut pas exagérer, on n’est pas en train d’opérer des gens à cœur ouvert toute la journée ! C’est quelque chose qui est faisable, avec beaucoup de travail, avec de la résistance, de la solidarité et des convictions, mais c’est à votre portée, vous en êtes capable ! », encourage Marlène Schiappa.

« La notion de plaisir est importante »

La seule (vraie) question à se poser selon Marlène Schiappa ? « Est-ce que ça me fait plaisir de m’engager en politique ? La notion de plaisir est importante. Si j’y vais à reculons en disant "oh la la quelle horreur, je vais me cacher", ou "oh lala il y a une affiche avec ma tête dessus c’est terrible" etc. Si cela devient une forme de souffrance, ce n’est pas la peine d’y aller. En revanche si c’est génial, qu’on sait qu’on a réussi et qu’on se nourrit de petites victoires qui procurent du plaisir, il faut se lancer. »

« Misez tout sur la sororité »

La sororité, un mot qui est plusieurs fois revenu dans la bouche des femmes politiques ce matin. Marlène Schiappa vient de lancer #ToutesPolitiques, un programme d’empowerment qui vise à appeler les femmes à s’engager en politique, notamment en vue des municipales. « Le concept c’est de mettre en place une sorte de mentoring, d’accompagner les femmes qui débutent dans la politique, de mettre en œuvre la sororité. Si à chaque fois qu’une femme politique prend la parole, elle peut citer le travail d’une autre femme politique pour la valoriser, on sera le réseau le plus puissant de ce pays ! » Marlène Schiappa va d’ailleurs accompagner elle-même des candidates qui débutent dans la vie politique.

« Ne montrez pas que vous avez peur ! »

La secrétaire d’Etat, interviewée par Anne-Cécile Sarfati, se base aussi sur sa propre expérience pour répondre à celles qui se demandent si elles vont se lancer (ou pas) dans la course au mandat. « La politique, c’est un peu comme une cour de prison - même si j’ai pu choquer avec cette métaphore - :  à partir du moment où vous montrez que vous avez peur, vous êtes mort ! Si vous arrivez en disant "voilà ce que je propose, mais quand même je ne sais pas trop, je ne suis pas sûre, est-ce que ma robe n’est pas trop comme ci ou comme ça, etc" ; à partir du moment où vous montrez ça, vous êtes mort. » Marlène Schiappa insiste : « Il faut prendre sa place ». A celles qui, lors d’une séance photo se voient poussées sur le côté, ripostez ! « Ne dites jamais "Faites la photo sans moi" », conseille-t-elle. 

Vivre les choses pleinement

« Quand on est engagé, quand on fait de la politique, c’est quelque chose qu’on vit 24h sur 24, je ne suis pas favorable à mettre une barrière entre vie personnelle et vie politique », estime Marlène Schiappa. Elle rappelle d’ailleurs la force de celles et ceux qui nous entourent. La famille, certes, mais les amis aussi. Et même les « amis d’avant la politique » qu’il vaut mieux ne pas négliger. « L’entourage est salutaire pour faire face aux attaques : après tout, je ne suis pas comme ci comme ça, mais le matin au réveil mes enfants me trouvent sympathique », confie-t-elle avec humour.  « Vous avez aussi la famille pour faire redescendre l’éventuel surcroît d’ego, car quand je rentre chez moi, parfois ma fille me dit "hé, ce n’est pas un meeting". Ou quand je lui ai demandé ce qu’elle pensait de la couverture de ELLE et qu’elle m’a dit : "tu aurais pu sourire". Le regard de la famille est solide, c’est un soutien, et en même temps il empêche d’avoir trop d’ego. Quand vous avez fait un meeting devant 1 000 personnes, que vous vous dites "quand même c’est bien, il y avait 1 000 personnes et je les ai convaincues", et qu’en rentrant chez vous, vous allez passer le peigne anti-poux, ça fait redescendre ! » Une anecdote amusante. Politiques ou non, ces problématiques, parlent, au final, à bon nombre d'entre nous !